Ce que nos combats sont parfois futiles ! On débat, on se bat, à coup de mots et pour finir on se crée des maux. C’est un glissement qui s’opère peu à peu. Souvent parce que chacun campe sur ses positions. Sous couvert de tolérance revendiquée, on se fige, on croise les bras en scrutant l’autre, juché sur nos hauteurs. Et l’attitude, pour ne pas perdre contenance, devient rigide. L’autre en fait autant. Debout devant sa forteresse, on organise un siège. Le siège se prolonge et sous sa tente on se sent pris au piège. La tente devient une taule. Le doute, l’angoisse, l’inconnu, le besoin de sortir de la situation nous placent en errance intérieure. La belle valeur de tolérance devient taule-errance.
Spectateur d’une scène telle que celle-ci, on comprend combien chacun agit stupidement. En tant que spectateur, on établit ses constats, ses jugements, ses critiques et l’on trouverait même une solution simple au conflit dont on est témoin.
Alors, pourquoi, dès lors que l’on devient acteur, ne la discerne-t-on plus ?
Il faut s’interroger sur ses responsabilités propres, ses torts, ses bévues, ses abus. Constater sa part dans un conflit. Reconnaître ses torts, faire tomber ses préjugés, reconnaître ses erreurs, ses fausses interprétations (dans lesquelles notre imagination nourrie par l’angoisse et les blessures antérieures nous ont précipités). Dépasser sa fierté, accepter que nul ne perde jamais contenance à reconnaître son erreur devant un autre mais esquisse bien plus souvent un pas décisif.
Voyez-vous, je serai toujours plus émue d’entendre quelqu’un venir à moi pour m’avouer lucidement qu’il s’était fourvoyé. Pas vous ? Et dans le cas où je suis en tort, je rencontrerai toujours davantage un autre à lui avouer les maux dans lesquels m’a plongé mon aveuglement.
La perception des maux de l’autre nous fait accéder à notre propre vulnérabilité. S’interroger sur sa propre vulnérabilité nous démontre combien nous aussi sommes fragiles.
C’est ici que l’on se rencontre vraiment. Sur le terrain de nos fragilités ! J’ai vécu des rencontres inoubliables sur ce plan-là. Ces rencontres m’ont forgée, m’ont enseigné, m’ont fait grandir. Elles m’ont enrichie humainement.
C’est pourquoi je perçois désormais que chaque conflit, chaque guerre est une rencontre manquée !
La prévention aux guerres est la fraternisation. Pourquoi ? A cause de l’affection qu’on se porte, on hésitera toujours à frapper un frère, un ami. On connaît ses qualités, on ressent quelque chose pour ce qu’il est face à nous. A l’inverse, comme en reflet, on perçoit qui l’on est pour lui. On nourrit son âme de tous ces liens de fraternité que l’on développe. Frapper la main de celui qui vous nourrit ainsi au plus profond de votre être n’est pas imaginable. Tout au plus, dirons-nous que nous avons des divergences d’idées, de culture, d’émotions, etc. Et nous en parlerons chacun, nous les exprimerons avec ce que nous sommes. Seulement, ce que nous sommes l’autre le sait déjà, ou du moins le sait un peu !
C’est pourquoi, ce qui se propage actuellement dans le monde m’interpelle vivement. Jusqu’à la haine de son semblable et jusqu’à faire couler son sang, si rouge, aussi rouge que le sien, pour une divergence de fond ou de forme, sortir des armes, briser des cous, asséner des coups, enchaîner des violences. S’y enchaîner... Retour au cercle vicieux.
L’individualisme est le terreau de ces guerres.
Il y lieu de s’interroger d’urgence. Où l’individualisme prend il sa source ? Notre goût pour l’indépendance rend prépondérant le « je » au détriment du « tous ».
Je dis TOUS et non pas NOUS. Car NOUS n’est qu’un individualisme collectif. NOUS porte en lui le même poison que JE.
La fraternité que prône la France aux côtés de la liberté et de l’égalité a conduit certains à s’interroger sur l’identité ! C’est un comble !
Quand tant de spécialistes de la psychologie humaine ont expliqué la prise de conscience du JE par le jeu du miroir (le regard de l’autre), tout à coup on ne sait plus qui l’on est ? N’avons-nous donc que campé devant le miroir, devant l’autre sans y voir que notre matérialité ? Jamais n’avons-nous accédé dans cette rencontre à ce qu’il y avait de fragile en nous ni à ce que ce regard de l’autre était venu nous révéler de lui ? Jamais n’avons-nous compris que sur le terrain de la vulnérabilité, tous nous sommes égaux ? Avons-nous réellement besoin d’un débat d’identité ? Avons-nous perdu la notion ce MOI à force de dire NOUS ? Nous, Français… Eux, non Français… Au-delà de la France, les guerres de clans dans d’autres pays : NOUS tribu X, EUX tribu Y ! NOUS Occidentaux, EUX non Occidentaux. NOUS chrétiens, EUX musulmans. Ai-je besoin de poursuivre cette énumération ?
Chacun entrevoit la dérive, j’en suis certaine.
On oublie souvent ce que l’on doit au regard de l’Autre. Lui, qui dans sa différence, a permis de révéler mon identité et ce qui m’a bâti. On oublie ce qui fut découvert dans cette rencontre. On oublie que sans le regard d’un autre aucune identité n’est possible.
Je suis atterrée de ce qui se propage un peu partout quand quelqu’un de bonne volonté lève le doigt pour suggérer une solution et que la classe mondiale rit imbécilement. Et pourquoi rient-ils ? Pourquoi rient-ils en se tournant de tous bords pour observer qui adhèrera à leur rire et qui n’adhèrera pas ?
La réponse est évidente une nouvelle fois, lorsqu’on se place en témoin de cette scène ! Bien sûr, ils rient pour se protéger. De quoi ? Du constat de leur propre ignorance ! L’ignorance dans laquelle ils nagent ne leur permet pas de discerner la subtilité de cet esprit qui vient de lever la main pour proposer une solution.
L’individu qui rit et tente de dissimuler son ignorance en levant le ton : « pour qui se prend-il celui-là qui lève la main ? Comme si personne n’y avait pensé avant lui ! Quel individualiste ! Quel prétentieux ! Quel lèche-bottes ! »
Ah ! Les ignorants, les lâches qui se taisent bien qu’ils perçoivent que celui qui vient de lever le doigt détient la solution qu’ils n’avaient pas su trouver eux-mêmes, se ralliant alors au railleur pour ne pas s’avouer leur ignorance. Pour ne pas perdre contenance…. (ce serait encore un beau sujet que celui de la contenance) !
Or, c’est ainsi qu’est découragé celui qui levait le doigt.
La prochaine fois, il taira la solution. Il se noiera dans la masse ignare pour ne pas sortir du lot. Il s’isolera dans un coin pour ressasser. Au lieu de développer plus loin la solution qu’il entrevoyait, il ressassera sur son manque de courage à s’affirmer devant l’assemblée, se culpabilisera de son audace à lever simplement un doigt. Se planquera pour ne pas subir les quolibets répétés de ceux qui désormais l’ont exclu de leur clan, de leur NOUS !
Quel dommage, n’est-ce pas pour celui qui avait une proposition ? Quel dommage car sa solution aurait peut-être permis de faire progresser. Des solutions, des initiatives découragées, rabrouées, critiquées, sont légion. Faut-il rejoindre ceux qui préféraient se tenir anonyme dans une masse, confort d’un NOUS, ou vaut-il mieux continuer de s’exprimer ? Comment s’y prendre pour être écouté ? Où trouver le courage de non plus seulement lever le doigt, mais même oser se lever en dépit des rires qui fusent dans la classe ?
Comment feriez-vous chacun dans une telle situation ? Allons-nous nous rasseoir ou allons-nous nous lever, puis attendre silencieusement que notre simple courage de nous lever couverts de rires finisse par en interpeler un puis un autre jusqu’à ce que celui qui provoquât la risée générale ne soit plus que le seul à rire ? Nous ferons-nous entendre enfin ? Maintenant que le silence est là, comment exposer ce qui pourrait être ? Imaginons la scène et devenons-en une nouvelle fois spectateur. Il y a fort à parier que nous trouverions une jolie suite à donner ici. Et je gage que le regard du rieur croisera celui du moqué.
La fraternisation, l’amitié, permet à chacun d’exprimer son meilleur. Elle s’oppose naturellement à l’oppression, elle ouvre l’esprit des ignorants. On ne peut pas tout savoir et chacun a tant à découvrir. Encore faut-il avoir la curiosité et le désir d’apprendre.
D’où vient la perte d’appétit d’apprendre ? Pourquoi faut-il apprendre ?
Qu’avons-nous découragé dans ce goût d’apprendre d’un autre ? N’est-ce pas que l’on a trop marié l’apprentissage au profit ? Ce n’est pas lucratif que de prendre le temps d’une fraternisation. Une désaffectation massive envers la fraternité est en train de nous plonger dans le marasme mondial ! Et je ne parle pas seulement d’un marasme économique. Non, c’est encore bien au-delà l’initiative que l’on décourage un peu partout par un nivellement incompréhensible.
On s’en fout de l’Autre là qui lève le doigt ! On s’en fout de ce qu’il pourrait proposer ! Nous ce qu’on veut c’est la liberté d’une récréation pour laquelle l’attente se fait impatience. Le divertissement pour échapper à la contrainte. La contrainte de son auto-analyse, la contrainte de son auto-correction, qui provoquerait automatiquement la prise de conscience de son erreur ou révèlerait clairement ce qu’on ignorait. La conscience de sa démission au FAIRE au profit d’un imparfait laisser aller, laisser dire (qui n’est pas écoute mais indifférence), d’une paresse.
Sûrement pas la faute à l’école. Ne nous méprenons pas là-dessus. L’école est une mini société. Elle est le reflet « miniature » de notre monde. Ce qui se passe à l’école n’est pas différent de ce qui se produit dans le monde. Une école ne vaut pas mieux qu’une autre… Œuvrer en toute fraternité et en joviale collaboration est ce que nous voudrions tous. Constater ce qui est dans la réalité, sur le terrain, est parfois décourageant. Mais qui baisse les bras consent à demeurer assis au milieu des ignorants de cette « classe » mondiale.
Soyons plus nombreux à participer, à lever le doigt, à exprimer nos idées, à proposer une hypothèse pour nourrir le dialogue et pas uniquement dans un groupe (un NOUS qui s’opposerait à un EUX).
Que vivons-nous chacun ? Comment le vivons-nous ? Qu’est-ce qui nous a permis une avancée et qu’est-ce qui a généré un recul ? Qu’est-ce qui nous a permis de fonctionner heureux et qu’est-ce qui nous a plongés dans l’opacité, le marasme, le découragement ? Qu’est-ce qui nous enthousiasme et qu’est-ce qui nous rend entreprenant ? Etc…
Quand quelqu’un se lève pour faire une suggestion, ayons du moins la politesse et le respect du courage qu’il vient de manifester à surpasser son sentiment de vulnérabilité pour oser suggérer quelque chose qui pourrait bien devenir une avancée !
C’est à cela que servent les mots !