Y a-t-il un moment où nous cessons de vieillir ou vieillissons-nous réellement jour après jour ? Véritablement qu’est-ce que le vieillissement ? De la dégénérescence et seulement cela ?
Il faut bien pourtant à un moment que cette progression vers l’amoindrissement du corps marque un arrêt, une pause, qu’elle stagne à un stade particulier.
À partir de cet instant, qu’advient-il réellement dans le corps ? La mort ?
Et l’être dans tout cela ? La courbe de l’être chute-t-elle au même rythme que celle de la vitalité du corps ?
J’ai sincèrement tendance à répondre non. À mon sens, à mesure que nous vieillissons, l’être — qui contient à la fois notre présence au monde et l’ampleur que nous prenons à l’intérieur de nous-mêmes — suit une expansion inouïe.
Et par ailleurs, cette ampleur ne pourrait exister s’il n’y avait pas en parallèle l'amoindrissement .
Ce n’est pas une balance que notre vie. L’équilibre est une fumisterie. N’existent que le bas plateau et le haut plateau.
Notre rêve immense d’atteindre les cieux, de toucher et survoler les cimes de nos ailes d’âme, notre si profonde aspiration à l’infini (qui nous fait aussi considérer notre propre finitude), n’est que le pressentiment de la maturation complète de l’être.
C’est notre destination finale : le haut plateau du balancier intérieur. Là haut le silence devient alors une communion.
Communion ? Entre qui et qui ? Tout simplement entre les « êtres »....
En quoi consiste-t-elle ? Nul ne parvient clairement à l’expliquer car là-bas les mots ne s’écrivent plus, ne s’échangent plus. On sait et puis voilà tout. Les vieilles personnes acquiescent longuement et inlassablement répètent ces mots "je sais"...
Il plane entre elles une sorte de conscience générale.
Comment et où cette conscience prend elle force ?
Sur le haut plateau de l’être, tous les « êtres » se considèrent enfin pareils.
Les vieilles personnes ne s’attachent plus aux apparences.
Elles ont appris à les traverser, les unes après les autres. Souvent au détour d’une épreuve, après avoir vécu des souffrances.
Traverser les apparences ne se fait pas sans douleur et encore moins avec aisance.
Tout comme nous naissons en traversant le corps maternel, le passage de l’apparence, du paraître (part être !) s’opère à l’étroit de son espace intérieur, avant que nous ouvrions les yeux sur notre part d’être.
Après quoi, ils se reconnaissent aussitôt ceux qui ont vécu des épreuves. Ils « savent » sans besoin de connaître les détails. Sur le parcours de chacun, les vieilles personnes savent intrinsèquement et n’ont pas besoin d’entendre les tribulations ayant amené dans le haut plateau celui qui les rejoint à son tour.
De se constater tellement pareil égalise tout, lisse tout.
On peut alors marcher avec légèreté sur la ligne. Ligne de partance. Cellle du fameux point « zéro » où aboutit le vieillissement.
Lorsque je poserai mes premiers pas sur cette ligne, sans doute ce qui m’intéressera tournera autour de la question suivante : « où conduit cette ligne que je viens de toucher du pied ? »
Comme un chemin forestier, je vois au bout de cette ligne infinie à mes yeux d’aujourd’hui, un point. Un point de départ. Et plus encore : un point d’origine. Celui-ci soutient toute mon espérance.
Quelque chose demeure depuis toujours dans ce point. Et toutes nos interrogations gravitent autour de ce fameux point d’origine. Cellule vivante ? Trou noir ? Vortex ?
Il y a fort à parier que notre intelligence ne nous permette pas encore de le conceptualiser.
Si je parvenais à ce point, si je pouvais m’y engouffrer, qu’y découvrirais-je ?
Dieu ou le vide ? Encore un autre passage ? Vers quel autre univers ?
Mon espérance est aussi infinie que tout ce qui est là et que nul ne s’expliquera jamais.