Photo: Duong Thu Huong, le 13 janvier 2009 à Paris (© AFP/Archives - Bertrand Guay)
Jeudi 19 février 2008, en présence de Guy CHOURAQUI, la Librairie Kléber de STRASBOURG recevait la romancière et scénariste DUONG THU HUONG.
Quand Guy CHOURAQUI aborde, d'entrée, le thème du langage, l'écrivaine s’avoue marquée par plusieurs langues. Qui furent aussi antérieurement celles de ses ennemis.
Note : rappelons brièvement que ce pays a vécu l’invasion chinoise, l’occupation et la colonisation française, l’indépendance proclamée par Ho Chi Minh à Hanoi en 1945 donnant lieu à une contre-réaction française, suivie de guerres de libération, la reconnaissance de l’indépendance sous ligne de démarcation, l’intervention américaine opposée aux élections générales destinées à réunifier le pays, les guerres civiles.
La population de son pays ne s‘adonne pas au libre langage. Ne pas avoir la confiance du régime communiste, expose une vie. Le régime en place est étouffant, laisse-t-elle entendre.
Saisissant l’opportunité du thème du langage, elle s’engouffre immédiatement dans la brèche de ce qui constitue désormais sa bataille : les réformes démocratiques.
Avec le recul sur l’Histoire - menant la population à se battre pour survivre - les langues comme le français ou l’anglais engendrent là-bas l’aspiration et le rêve d’« horizons lointains ».
« Au Zénith » est, du reste, le titre de son dernier livre, paru aux Editions Sabine WESPIESER.
Guy CHOURAQUI souligne l'exceptionnel travail de romancière qu’il a détecté dans cet ouvrage, tant du point de vue de sa structure, que de la diversité des styles et des personnages : « bons ou mauvais, ils sont tous absolument attachants ». Ils sont très nombreux et l’on pourrait en dresser un répertoire, d’autant plus que plusieurs d'entre eux se voient attribuer des doublons d‘identité. Avec sa volonté de témoigner, d’une main ferme, elle tient la trame.
Empêchée d’interviewer elle-même dans son pays, l’auteure, aidée par son frère, reconnaît écrire avec une sorte de douleur restant en elle. « Le silence noir des funérailles » d’un ami assassiné… « Un peuple tellement faible qu’il a besoin d’un héros », « on m’a insultée car je l’ai « déboulonné ».
Ayant « vécu avec les montagnards et les paysans », elle reste imprégnée d’eux.
On retrouve dans ce livre, des thèmes prégnants : la vieillesse et le vieillissement, l’amour…
Guy CHOURAQUI prend ici l‘auteur à partie :
« l’amour : méfiance ou valeur suprême pour vous ? »
"Les relations entre les hommes ne sont pas faciles" dit-elle, "ça contient beaucoup de menaces"....
Son interviewer revient ensuite pudiquement au livre, dont les premières lignes annonce d’emblée la structure : « en une page tout est tressé ! »
On trouve des histoire dans l’histoire, non linéaire, contenant des scènes extraordinaires, s'enthousiasme-t-il.
Un temps plus tard, lorsqu’un de ses lecteurs, prenant un micro dans la salle (à laquelle la parole venait d’être donnée), lui reproche dans ce livre d’y « dédouaner tout de même un peu Ho Chi Minh » (reconnaissable dans le personnage du Président), elle répond qu’elle a voulu montrer un homme dans toutes ses contradictions, avec son prestige et ses déchéances, ses conflits intrinsèques, ses hésitations intimes, et tout ce qui guide sa vie personnelle à être sacrifiée au nom du pouvoir.
L'auteure témoigne qu'elle a déjà "failli mourir deux fois", qu’elle recherche "la vérité sans préconçus" avec la difficulté d’approcher les gens de son pays et qu’elle "écrit pour s’adresser au peuple". Jetée dans les guerres civiles, elle a pris conscience qu’à l’intérieur de celles-ci des gens étaient amenés à se battre contre d’autres issus de leur propre pays.
Quand un autre lecteur - en réaction à une précédente position ouverte de l’auteure sur l’intervention américaine jugée comme « la plus stupide erreur dans l’histoire » de son pays - estime (ayant fait lui-même le voyage jusqu’au VIETNAM) que le pays s’américanise de plus en plus et qu’il n’a pas senti là-bas de ressentiment à l’encontre ni des Américains ni des Français, tout en y ayant entrevu une certaine peur face à la Chine, DUONG THU HUONG avec un hochement de tête explique. Elle comprend cette vision des choses, perçue par un témoin extérieur. L’Histoire se comprend toujours après coup et aujourd’hui les Vietnamiens admettent que les malentendus naissent dans l’Histoire. Quant à la Chine, "elle reste l’Empire du Milieu"…
Reprenant la parole, le premier lecteurv(dont un membre familial a vécu personnellement les retombées de cette Histoire) déplore le manque de communication sur ce régime vietnamien qu’il qualifie de mafieux, puis indique sentir pour sa part encore beaucoup de ressentiment entre Vietnamiens. "Des survivants… auxquels sont tout juste accordés 250 grammes de viande par mois !"...
DUONG THU HUONG, renchérit. Sur le plan familial, elle a de nombreux cousins, mais "ils ne se voient presque pas à cause de ces malentendus liés à l’Histoire qui créent des abîmes entre eux... Les vieilles personnes là-bas, ne peuvent oublier". Par ailleurs, dénonce-t-elle, le régime vietnamien est très habile à l’égard des journalistes étrangers, avenant, affable, usant de louanges, mais les crimes sont toujours dans le silence… ».
Cette phrase en jetterait presque un dans la salle...
Au final, Guy CHOURAQUI compare ce livre à un Classique et conclut :
« pas de classique sans les replis de l’âme humaine ! ».
Je suis ressortie personnellement de la librairie avec l’impression d’une dissidente volontaire, rebelle, en quête de vérité comme un impératif, fortement imprégnée par son vécu et marquée par les déchirements, désireuse de rester proche d’un peuple muselé et contenu, s’opposant ouvertement et avec courage au régime en place.
Présentation de l’auteure par la Librairie (magazine Conversations) :
« Née en 1947 au Vietnam, Duong Thu Huong, pour avoir défendu ses convictions démocratiques, a été emprisonnée en 1991. Elle a vécu en résidence surveillée dans son pays jusqu’en janvier 2006, date de son arrivée en France pour la sortie de « Terre des Oublis » (Sabine Wespieser éditeur, Grand Prix des lectrices de Elle 2007). « Au Zénith » est le chef d’œuvre de Duong Thu Huong : voici un roman qu’elle portait en elle depuis plus de 10 ans, et où convergent son combat politique et son talent littéraire. »
BIOGRAPHIE :
DUONG THU HUONG est née en 1947. À 20ans, elle dirigeait une brigade de jeunesse communiste envoyée au front pendant la guerre. Avocate des droits de l’homme et des réformes démocratiques, elle n’a cessé de défendre vigoureusement ses engagements pour finir par être exclue du parti communiste en 1990, avant d’être arrêtée et emprisonnée sans procès. Depuis le succès de « Terre des Oublis » et de « Itinéraire d’enfance » (Sabine WESPIESER éditeur 2006 & 2007), elle vit à Paris, où elle se consacre à l’écriture, après des années de résidence surveillée à Hanoï. Bien que ses livres soient désormais interdits de publication dans son pays, elle reste au Vietnam un des écrivains les plus populaires et les plus discutés. Son œuvre est traduite dans le monde entier ».
Présentation du livre sur le site EVENE